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Plaidoyer pour la démocratie

Par Eric Hardy

 

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« On ne refera pas la France par les élites, on la refera par la base. »

Georges Bernanos

 

 

PRÉAMBULE

 

Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante du terme « Constitution » : «Ensemble des lois fondamentales qui établissent la forme d’un gouvernement, règlent les rapports entre gouvernants et gouvernés et déterminent l’organisation des pouvoirs publics. »

Dans son manifeste intitulé Manifeste pour la vraie démocratie, André Tolmère a écrit (MVD, p. 5) : « La politique est au cœur de tous les problèmes. On ne peut rien changer sans changer la politique, et on ne peut changer la politique sans changer les règles du jeu politique. » C’est pourquoi nombre de Français sont convaincus de la nécessité impérieuse d’obtenir la formation d’une Assemblée constituante au moyen du principe du tirage au sort afin que la France soit enfin dotée d'une Constitution démocratique au sens étymologique du terme (du grec dêmokratia, « souveraineté du peuple »). Nous savons pertinemment que des représentants élus au suffrage universel pour former une Assemblée constituante seraient pour la plupart des membres des partis politiques et, partant, inaptes à servir les intérêts du peuple français et à le protéger des abus de pouvoir des gouvernants. « Ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les règles du pouvoir », comme l’a si bien dit Etienne Chouard. Autrement dit, ni les hommes et femmes des partis politiques, ni les parlementaires, ni les ministres, ni les juges ne doivent avoir le droit d’écrire ou de modifier la Constitution. Il faut séparer le pouvoir constituant des pouvoirs constitués ; ils ne doivent surtout pas être entre les mains des mêmes personnes. Si c'est le cas, les individus susmentionnés pensent avant tout à leur intérêt personnel lorsqu’ils rédigent les articles de la Constitution, et non à l'intérêt général : il y a un conflit d’intérêt patent. Enfin, il est impératif que les gouvernants craignent la Constitution. Or, comment pourraient-ils craindre un texte qu’ils auraient écrit eux-mêmes ?

 

1. LE PROCESSUS CONSTITUANT

 

Il existe un processus véritablement démocratique (sans doute en existe-t-il d'autres) permettant d’obtenir la formation d'une Assemblée constituante démocratique qui aura pour mission de rédiger la première Constitution démocratique de la France. Ce processus constituant est fondé sur le principe du tirage au sort. Le voici :

Lors des premières procédures de tirage au sort, cinq mille personnes majeures, de nationalité française et jouissant de leurs droits civils et politiques, seront tirées au sort parmi les inscrits sur les listes électorales des départements de France métropolitaine, d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie (collectivité sui generis française). Le nombre de personnes tirées au sort dans chaque division territoriale sera proportionnel au nombre d’inscrits sur les listes électorales dans chacune de ces divisions territoriales. Ainsi, si quarante-six millions de personnes sont inscrites sur la totalité des listes électorales et que trois cent mille personnes sont inscrites sur les listes électorales de tel département, il faudra tirer au sort trente-deux personnes dans ce département. On obtient ce résultat de la façon suivante :

300 000 ÷ 46 000 000 = 0,0065. 0,0065 x 100 = 0,65 %. 5 000 x 0,65 ÷ 100 = 32,5.

Ces procédures de tirage au sort auront lieu en présence d'un public dans une salle de la préfecture de chaque division territoriale. Puis les personnes tirées au sort recevront de leurs mairies respectives un document qui leur expliquera qu'elles ont été présélectionnées par le sort pour servir l'intérêt général et que cent d’entre elles deviendront des constituants. Ce document précisera en effet qu'une seconde procédure de tirage au sort aura lieu trois mois plus tard parmi les cinq mille tirés au sort du premier tour, car l’Assemblée constituante ne comptera que cent constituants. Ce document contiendra également la liste des aptitudes requises pour être un bon constituant, informera les personnes tirées au sort qu'elles pourront évidemment refuser d'accomplir cette noble tâche si elles sont à nouveau tirées au sort lors de la seconde procédure de tirage au sort, et il leur sera enfin spécifié qu’elles devront lire la Constitution de la Cinquième République afin d’en relever les articles ou passages d’articles de nature antidémocratique, et s’auto-éduquer en visionnant pendant ces trois mois au moins trois conférences et débats de et avec Etienne Chouard (les titres et adresses web des trois meilleurs conférences et débats figureront dans le document) et en lisant des livres traitant de la démocratie, dont le Manifeste pour la vraie démocratie d’André Tolmère.

(http://ebookbrowse.com/manifeste-pour-la-vraie-democratie-pdf-d108395532)

Trois mois plus tard, cent personnes seront tirées au sort parmi les cinq mille qui auront été tirées au sort dans toutes les divisions territoriales. Cette seconde procédure de tirage au sort aura lieu à Paris dans une salle du Conseil constitutionnel. Les tirés au sort qui refuseront de devenir des constituants à l’issue de cette seconde procédure de tirage au sort seront remplacés par les personnes qui auront été tirées au sort lors des premières procédures de tirage au sort. Il faudra, par conséquent, procéder à des tirages au sort supplémentaires dans les divisions territoriales respectives des renonçants parmi les personnes tirées au sort lors des premières procédures de tirage au sort.

 

2. NOUS DEVONS PROMOUVOIR LA VRAIE DÉMOCRATIE : LA DÉMOCRATIE DIRECTE

 

La véritable démocratie est indissociable du principe du tirage au sort, tandis que le principe de l'élection (2) est, lui, indissociable du gouvernement non représentatif (assimilable à la notion d'oligarchie, du grec oligarkhia, « commandement de quelques-uns », notion elle-même indissociable de la notion de ploutocratie, du grec ploutos, « richesse » et kratos, « pouvoir ») que les gouvernants assimilent mensongèrement à la démocratie depuis la Révolution française pour tromper et asservir le peuple. La citation suivante, tirée du discours que Emmanuel Joseph Sieyès lut le 7 septembre 1789 à l’Assemblée constituante, prouve que la France n'est pas une démocratie :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. S'ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n'est pas une démocratie (et la France ne saurait l'être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

Voici deux extraits (PGR, p. 13 et 14) de l’essai de Bernard Manin intitulé Principes du gouvernement représentatif qui achèveront de convaincre les plus naïfs : « Sieyès, de son côté, soulignait avec insistance la « différence énorme » entre la démocratie où les citoyens font eux-mêmes la loi et le régime représentatif dans lequel ils commettent l’exercice de leur pouvoir à des représentants élus. » « Ainsi, pour Sieyès, comme pour Madison, le gouvernement représentatif n’était pas une modalité de la démocratie, c’était une forme de gouvernement essentiellement différente et, de surcroît, préférable. » Pourquoi « préférable » ? Parce que le gouvernement non représentatif permet à la bourgeoisie, qui s’est emparée du pouvoir pendant les révolutions française et américaine, d’opprimer le peuple en toute légalité.

Nous voulons que la France devienne enfin une démocratie, c'est-à-dire un État au sein duquel chaque citoyen pourra participer sur un rapport d'égalité avec les autres à l'activité auto-instituante de la société, et plus précisément au pouvoir explicite, c'est-à-dire à l'élaboration de la Constitution, des lois et aux décisions gouvernementales. On peut ranger au nombre des caractéristiques principales de la démocratie les sept institutions suivantes : la sélection des gouvernants par tirage au sort, la liberté d’expression, la liberté des médias, les divers référendums d’initiative citoyenne (constituant, législatif, abrogatoire, révocatoire), la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, la reddition des comptes et les mandats courts, non renouvelables, non cumulables et impératifs (les élus du sort qui ont fait des promesses avant d’être tirés au sort doivent s’efforcer de les tenir).

Depuis toujours, les Français ne sont pas des individus autonomes (du grec autonomos « qui se régit par ses propres lois », de nomos, « loi »), mais des individus hétéronomes (du grec heteronomos, « qui reçoit de l'extérieur les lois qui le gouvernent »), des électeurs qu'aliène une société hétéronome qui vise et tend à se reproduire à l'identique, soit, en d'autres termes, une société où l'imaginaire institué recouvre et étouffe l'imaginaire instituant, où les institutions fonctionnent de telle façon à ce que soit rendue presque impossible toute transformation de la société. Or, le principe de l’élection est responsable de ce lamentable état de choses puisqu'il oblige (les abstentionnistes sont également des individus hétéronomes) les « citoyens » (en réalité ce sont des individus hétéronomes et non des citoyens, car des

citoyens dignes de ce nom sont des individus autonomes ; selon Aristote, « le citoyen est celui qui est capable de gouverner et d'être gouverné ») à renoncer à leur souveraineté au profit de maîtres politiques qu'ils n'ont pas choisis, qu'ils ne connaissent pas et qui pour la plupart servent non pas l’intérêt général, mais les intérêts des oligarchies financière et industrielle. « Le système politique actuel est assis sur une branche pourrie qu’il est bien incapable de couper. En fait, c’est l’arbre de la société tout entière qui est pourri jusque dans ses racines. Il faut le faire tomber et replanter un arbre différent sur des racines nouvelles : celles d’un ordre politique radicalement différent et nouveau. Un ordre politique qui rende à chaque citoyen sa place politique dans une société plus égalitaire et plus juste » (MVD, p. 130). André Tolmère déplore à juste titre que « le vingtième siècle a vu une évolution prodigieuse dans tous les domaines, sauf dans la politique » (MVD, p. 132).

Un extrait de Du contrat social (livre III, chapitre XV) de Jean-Jacques Rousseau définit parfaitement l'oppression tyrannique dont est victime le peuple sous le règne du principe électif : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n'y a point

de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi. Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement : sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde. »

André Tolmère confirme les propos de Rousseau : « La « représentativité » du gouvernement est une fiction, un rideau de fumée. On fait voter les « citoyens » régulièrement et le tour est joué : on les a si bien convaincus qu’ils ont la liberté de choix ! On fait croire aux « citoyens » que la démocratie fonctionne automatiquement en suivant scrupuleusement les procédures qui organisent les élections et le scrutin. On leur fait croire que l’essence de la démocratie réside dans ces règles du Code électoral, qu’elles sont la démocratie. […] En fait, l’essence de la démocratie n’a rien à voir avec ces règles frelatées. L’essence de la démocratie a tout à voir avec la nature des rapports que les citoyens établissent entre eux. La vraie démocratie implique des rapports de confiance entre les citoyens. Une véritable société démocratique est celle dont les membres sont tous solidaires, liés par une entente commune basée sur une égalité politique réelle que seul un système fondé sur le tirage au sort rend évidente. Ce nouveau fondement politique crée des liens communautaires de confiance, de sympathie, et des myriades de rapports humains bénéfiques qui rendent inutiles l’égoïsme, le quant-à-soi, l’agressivité, la compétition, la violence » (MVD, p. 135 et 136).

Le suffrage universel nous apparaît comme le nec plus ultra de la démocratie alors même qu’il est l’outil par excellence dont use l'oligarchie pour nous asservir. La votation et le suffrage universel fabriquent « une caste d’élus, professionnels et carriéristes, dont toute l’activité est centrée sur leur réélection et leur maintien au pouvoir » (MVD, p. 13). « Le suffrage universel provoque une illusion en focalisant l’attention sur les électeurs et sur la reconnaissance de l’égalité politique entre chaque « citoyen ». On oublie les élus. On oublie que c’est une masse qui va aux urnes et une infime minorité qui en sort. Et pas n’importe laquelle : c’est toujours une élite appartenant aux classes dominantes. Instaurant l’égalité politique entre les « citoyens », le suffrage universel reconstitue l’inégalité, en confiant à une élite institutionnelle l’emprise totale sur le pouvoir d’État » (MVD, p. 55). « L’élection n’est qu’une illusion qui a pour seule fonction la conservation d’un statu quo social. La démocratie élective fige la société dans un carcan de fer qui l’étreint et l’étouffe. Elle est la forme la plus subtile, la plus sournoise et la plus vicieuse d’une oppression, d’une dictature qui se paye le luxe d’avancer sous la bannière de la liberté » (MVD, p. 57).

Le principe fondamental de l’égalité politique des citoyens « a été dévoyé, trahi, prostitué par les révolutionnaires de 1789 et par la pseudo-démocratie actuelle en : « un homme, une voix ». Mais cette voix n’a plus qu’un droit : celui de se taire pour laisser la parole aux seuls élus. Ce qui revient à dire que le principe premier de la démocratie, qui donne l’accès à tous les citoyens à l’exercice de tous les droits politiques, ne donne plus à l’immense majorité des « citoyens » qu’un seul droit politique : celui, dérisoire et ridicule, de mettre un bulletin dans une urne ! Quel extraordinaire tour de passe-passe ! C’est la plus incroyable escroquerie politique de toute l’histoire de l’humanité ! » (MVD, p. 70).

Le suffrage universel « constitue un alibi hypocrite pour légitimer plus largement une oligarchie bien en place. Il fabrique de toutes pièces un précipice monstrueux entre un pouvoir politique, concentré aux mains d’une poignée d’élus installés dans une quasi-permanence, et l’illusion d’un pouvoir politique chichement accordé à presque tous, au gré de rarissimes consultations électorales dont l’objectif est la désignation de parfaits inconnus censés être les meilleurs. On croit rêver » (MVD, p. 77).

L'oligarchie parvient facilement à nous duper car elle a recours à ce que George Orwell appelle « la novlangue » dans son roman d’anticipation intitulé 1984, autrement dit à un langage qui déforme la réalité. Ainsi, les médias de masse, qui sont à la solde de l'oligarchie, utilisent le terme « démocratie » pour désigner le gouvernement non représentatif. Or, comme l’a écrit le logicien Bertrand Russell, « nul problème ne pourra être résolu, voire perçu, si l'on prend soin d'éliminer au départ toute possibilité de le poser. » Les politiciens font également un grand usage des « discours creux de la langue de bois, de programmes politiques interchangeables et vides, donnent plus d’importance à la forme qu’au fond, remplacent les stratégies politiques par des stratégies de marketing, accordent une grande place à la communication et à la publicité pour séduire un « citoyen » rabaissé à un rôle de simple consommateur d’une marchandise politique » (MVD, p. 13). Il convient également de rappeler que « la votation et le suffrage universel sont des règles du jeu fondés sur la compétition ; une compétition censée sélectionner les « meilleurs », les plus « compétents ». Il n’est plus à démontrer que cette compétition sélectionne les individus les plus incompétents, les plus arrivistes, les plus pervers, les plus dangereux pour la société. Il faut donc remplacer ces règles du jeu absurde et remplacer la compétition par le hasard » (MVD, p. 144).

Il existe en effet un remède à cette situation politique antidémocratique : le principe du tirage au sort. Il est le fondement de la démocratie, régime politique qui fut inventé à Athènes au VIe siècle avant Jésus-Christ. C'est effectivement, comme l’a écrit Aristote dans Les Politiques, « à travers la sélection aléatoire des dirigeants que s'exprime la nature profondément démocratique d'une cité ». Le philosophe grec ajoute : « Il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu'elles soient électives. » André Tolmère nous apporte des précisions sur la démocratie athénienne : « Les Grecs ont inventé la démocratie parce qu’ayant expérimenté tous les régimes politiques possibles, ils accordèrent plus leur confiance au peuple pris dans sa globalité plutôt qu’à des minorités privilégiées d’aristocrates, de ploutocrates et de tyrans. C’est pourquoi le fondement incontournable de la démocratie grecque consiste en l’établissement du principe d’égalité absolu des citoyens entre eux sur le plan politique. Le génie grec, tout pragmatique, est d’avoir inventé la méthode qui respecte résolument le principe d’égalité, se combine parfaitement avec lui, pour former un couple harmonieux et fécond. Cette méthode n’est pas l’élection, ni le suffrage universel présentés aujourd’hui comme des principes obligatoires des démocraties modernes. […] Cette méthode est le tirage au sort. C’est le kléros des Grecs d’Athènes » (MVD, p. 64). « Seul le tirage au sort répond à l’exigence première de la démocratie : l’égalité politique absolue entre les citoyens. Un citoyen en vaut un autre. Un égale un et non pas un citoyen égale un vote ! » (MVD, p. 72). « Si la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple, le peuple est formé de citoyens. Qu’est-ce qui distingue un citoyen d’un autre citoyen ? Rien ! Car la notion même de citoyen implique qu’un citoyen est égal à un autre sur le plan des droits politiques et la qualité de citoyen est d’être un individu politique participant du peuple. Le peuple se définit comme le titulaire de la souveraineté. Le citoyen détient une parcelle de cette souveraineté. Chaque citoyen étant identique, chacun détient la même parcelle de souveraineté » (MVD, p. 77).

Au XVIIIe siècle, Montesquieu, dans De l’esprit des lois, établit lui aussi un lien étroit entre le tirage au sort et la démocratie d’une part, et l’élection et l’aristocratie de l’autre (PGR, p. 98) : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie. »

Les citoyens tirés au sort produiront des lois autonomes. Celles-ci seront les antonymes des actuelles lois hétéronomes que le gouvernement impose au peuple français. Celui-ci doit impérativement rédiger et voter lui-même les projets de loi pour devenir un peuple autonome. Qui, de nos jours, a jamais été consulté par un élu au sujet d’un projet de loi ? Pouvez-vous imaginer un représentant du peuple ne consultant jamais les personnes qu'il est censé représenter ? Oui, on appelle cela « un élu du peuple ». « Le système de la votation instaure, de fait, une inégalité politique structurelle entre le « citoyen » qui délègue sa souveraineté et l’élu qui l’accumule. D’autant plus que l’élu devient un élu professionnel » (MVD, p. 77).

D'aucuns nous rétorqueront qu'une expérience et des connaissances spécifiques sont impératives pour exercer des tâches étatiques centrales. Cela est vrai pour exercer certaines fonctions (3), mais certainement pas pour exercer la fonction de corédacteur de la Constitution. Elle exige seulement des tirés au sort qu'ils aient le sens de l'intérêt général. Or, les politiciens élus, qui selon les défenseurs de l'actuel système oligarchique sont les seuls individus aptes à rédiger la nouvelle Constitution de la France, ont prouvé à leurs « concitoyens » ces deux cents dernières années qu'ils n'ont justement pas le sens de l'intérêt général. Tous les citoyens sont égaux devant le tirage au sort car ils ont tous une chance égale d’être désignés par le sort pour occuper une fonction publique, tandis que le principe électif, ce principe aristocratique et oligarchique, ne permet qu’à une minorité d’entre eux (souvent les plus riches) d’occuper une fonction publique. Aussi n’est-il pas exagéré de dire qu’un grand bourgeois élu est un oligarque, tandis qu’un grand bourgeois tiré au sort est un membre du peuple.

 

(2) Il ne faut pas confondre le vote pour tel ou tel candidat, qui est antidémocratique, et le vote pour ou contre tel projet de loi, qui est démocratique. En démocratie, on ne vote pas pour des individus.

 

(3) Il n'est pas nécessaire d'avoir recours au principe électif pour obtenir que des individus compétents occupent des fonctions importantes au sein d'un gouvernement ou d’une administration. Nous pouvons appliquer le principe sélectif : un jury tiré au sort parmi des citoyens volontaires est chargé de sélectionner sur dossier des candidats à une fonction importante. Puis un tirage au sort à lieu parmi les candidats

sélectionnés pour désigner la personne qui assumera cette fonction. Cette application du principe sélectif doit avoir lieu à des intervalles définis par la loi, car en démocratie le principe de la rotation des charges est de rigueur. Il ne faut jamais oublier que l'exercice du pouvoir corrompt. Par ailleurs, André Tolmère nous invite, avec raison, à ne pas éprouver un complexe d’infériorité vis-à-vis de certains individus que nous estimons plus compétents que nous : « Aujourd’hui, l’élitisme méritocratique justifié par des diplômes de l’ENA ou de Polytechnique impose sa dictature à tout un pays. L’ennui, c’est que ces diplômes ne garantissent nullement l’intelligence, la compétence, le bon sens, l’humanité, l’humilité. Ils sont au contraire une garantie d’orgueil, de prétention, d’enflure de l’ego, de folie des grandeurs, de morgue, de mythomanie, de perversion » (MVD, p. 72). Il ajoute : « Le principe de Peter a démontré depuis longtemps que les incompétents se croient plus compétents que les autres, qu’ils sont incapables de reconnaître leurs erreurs, ce qui ne les empêche pas, bien au contraire, de grimper beaucoup plus vite dans les hiérarchies et de s’installer à leur sommet pour longtemps, trop longtemps » (MVD, p. 17).

 

3. NOUS DEVONS FAIRE DE LA POLITIQUE AU SENS ÉTYMOLOGIQUE DU TERME ET NON DE LA POLITIQUE PARTISANE

 

Nous nous sommes rendu compte que la Constitution républicaine et, partant, antidémocratique de la Cinquième République est la racine de la plupart des maux qui minent la France. Mais établir ce constat ne doit pas s'accompagner de la promotion d'un programme politique. Au cours de nos discussions avec nos « concitoyens », nous devons nous borner à dénoncer les conséquences néfastes de l'actuelle Constitution républicaine. Proposer aux gens un programme politique serait faire preuve d'incohérence puisque ce sont les partis politiques qui proposent des programmes politiques et qu'ils ne peuvent les mettre en œuvre sans recourir préalablement au principe électif. Or, nous devons justement dénoncer le recours au principe électif, car ce principe antidémocratique est l’antithèse du principe du tirage au sort, fondement de la démocratie.

Si nous affirmons que le principe du tirage au sort est consubstantiel à la démocratie, d'autres personnes soutiennent que la démocratie est fille du principe du tirage au sort et du principe électif. Est-ce vrai ? Il importe de rappeler que le principe de l'élection est inhérent à l'existence des partis politiques, mais que ceux-ci ne sont pas inhérents à la démocratie. Les gouvernants qui se sont succédés depuis la Révolution française se sont évertués à faire accroire au peuple que les deux choses sont indissociables pour le diviser et pour pouvoir ainsi facilement régner sur lui et l'opprimer. En réalité, les partis politiques, fruits du principe électif, nuisent à la démocratie car ils transforment la démocratie directe (c'est un pléonasme : la démocratie est forcément directe) en démocratie indirecte (ou représentative). Or, la démocratie indirecte (c'est un oxymore : deux termes de sens contraire sont réunis dans le syntagme « démocratie indirecte ») n'est pas la démocratie, mais le gouvernement non représentatif. En fait, les partis politiques travestissent la volonté populaire quand ils ne la trahissent pas. Ils prétendent la représenter alors même qu'elle ne peut être représentée, comme l'a justement écrit Jean-Jacques Rousseau. Bref, ils se dressent entre le peuple et l'exercice de sa souveraineté.

Le sociologue Robert Michels a par ailleurs mis en évidence le caractère non démocratique du fonctionnement des partis politiques. Bernard Manin commente cette analyse dans son essai (PGR, p. 265) : « Michels montrait, et dénonçait avec force, la distance séparant les dirigeants et la base dans le plus prestigieux et le plus puissant des partis de masse et de classe. Il démontrait que, même si les dirigeants avaient une origine ouvrière, ils menaient en fait une vie de petits-bourgeois et non de prolétaires. Michels n’établissait pas seulement que les leaders devenaient différents une fois qu’ils avaient atteint leur position de pouvoir, il soulignait aussi qu’ils étaient initialement différents de leurs compagnons. Le parti, affirmait Michels, fournit aux « membres les plus intelligents [de la classe ouvrière] » un « levier pour leur ascension sociale » ; il assure la promotion de « certains de ses [du prolétariat] éléments les plus capables et les plus avisés ». À l’aube de l’ère capitaliste, ces ouvriers « plus intelligents et plus ambitieux que les autres » seraient devenus de petits entrepreneurs, maintenant ils deviennent des bureaucrates du parti. Le parti est ainsi dominé par une élite « déprolétarisée », profondément différente de la classe ouvrière. Cette élite, cependant, accède au pouvoir sur la base de talents et de compétences particuliers : le militantisme et le talent organisationnel. »

L’analyse lucide de Robert Michels vaut également pour les partis bourgeois. Ces derniers sont seulement situés plus haut sur l’échelle sociale. Comment des organisations dont le mode de fonctionnement est antidémocratique pourraient-elles promouvoir la démocratie ? De l’extrême gauche à l’extrême droite les partis politiques volent au peuple le pouvoir qui lui revient de droit. Nous vous rappelons que le sens étymologique du terme « démocratie » est « souveraineté du peuple » et non « souveraineté des membres des partis politiques », ni « souveraineté des élus du peuple ». Par conséquent, il ne saurait y avoir de démocratie aussi longtemps que les partis existeront. Ils doivent disparaître de la scène politique. Or, le meilleur moyen pour en venir à bout est de transformer tous les électeurs en promoteurs du principe du tirage au sort. Sachez que les partis politiques brillèrent par leur absence pendant les deux siècles où la démocratie, fondée sur le principe du tirage au sort, régna à Athènes.

 

4. LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DOIT DEVENIR LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE FRANÇAISE ET NON LA SIXIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

La plupart des Français ignorent que le concept de république est assimilable au concept de gouvernement non représentatif et non au concept de démocratie. Bernard Manin, commentant des propos de James Madison, le Père de la Constitution des États-Unis, définit cette différence dans Principes du gouvernement

représentatif (p. 153) : « Ce qui différencie une république d’une démocratie n’est donc pas seulement l’existence d’un corps de représentants, c’est aussi que les représentants forment un corps « choisi ».

Comme autrefois Giucciardini, Madison joue ici, à l’évidence, sur le double sens du terme « choisi » : les représentants sont choisis, au sens littéral, puisqu’ils sont élus, mais ils appartiennent aussi au cercle choisi des citoyens distingués. En ce second sens, ils sont distincts et différents de leurs concitoyens. » La définition que le dictionnaire Larousse donne du mot « république » nous confirme que la république n’est pas la démocratie : « Forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat conféré par le corps social. » Par conséquent, contrairement aux membres de certains partis politiques, nous ne devons pas appeler de nos vœux l’avènement de la Sixième République, car celle-ci, comme la Cinquième République, relèverait du gouvernement non représentatif. Néanmoins, l’étymologie du terme « république » nous permet de le conserver dans l’appellation du futur régime politique. Le mot « république » vient en effet du latin res publica qui signifie « chose publique ». La république peut donc être considérée comme l’objet sur lequel s’exerce la souveraineté du peuple. Aussi ne ferions-nous pas preuve d’incohérence en réclamant l’avènement de la Première République Démocratique française.

 

 

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